Les praticiens savent que la frontière entre un marché public de travaux et une concession de travaux avec des opérations de cessions de droits réels n’est pas toujours claire.
Pourtant, la qualification d’une opération en marché public ou une cession de droit réel n’est pas sans répercussion.
Ainsi, la qualification en marché public de l’opération aura pour conséquence que les législations propres aux marchés publics trouveront à s’appliquer avec le formalisme qu’on leur connait.
Le Conseil d’Etat a tranché cette question dans un arrêt[1] illustrant la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne en matière d’intérêt économique direct[2].
En l’espèce, la ville de Ciney vendait un terrain moyennant l’obligation pour l’acquéreur de concevoir, réaliser et financer des travaux selon une programmation urbanistique préétablie.
La Ville avait procédé à une adjudication conformément à la législation en matière de marché public.
Le candidat soumissionnaire classé deuxième du processus d’évaluation a cherché à obtenir l’annulation et la suspension de la décision d’attribution.
Il se prévalait de la loi dite « recours »[3] et de la présomption d’urgence de son article 47.
Se posait la question de la qualification de cette opération : Est-ce un contrat de cession de droits réels ou un marché public de travaux ?
Le Conseil d’Etat a considéré que cette opération ne devait pas recevoir la qualification de marché public et requalifié l’opération en une cession de droit réel.
Cette requalification a fait perdre au requérant la présomption d’urgence dont il se revêtait et avec elle, en l’absence de démonstration de l’urgence, la recevabilité de son recours eu égard à l’article 17 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’État a, en effet, considéré que l’opération qui constituait une vente de terrain avec l’obligation de construire selon des conditions préétablies avec une composante relative à la réalisation d’équipements publics qui seront rétrocédés au pouvoir public formait un contrat indivisible et que la rétrocession de ces équipements publics n’était que l’accessoire de l’opération principale que constituait la vente immobilière.
Le Conseil d’Etat a estimé que l’opération ne remplissait pas la composante du caractère onéreux que constitue l’intérêt économique direct.
Le Conseil d’État a constaté que l’opération ne satisfaisait pas un besoin propre de l’adjudicateur ni ne contribuait à la réalisation d’une mission de service public.
Le Conseil d’État, en concluant que l’opération ne satisfaisait pas le critère de l’intérêt économique direct l’opération devait être qualifiée de cession de droits réels.
La notion de l’intérêt économique voit ici une consécration et sa place s’affermir dans la distinction de la notion de marché public avec d’autres formes de l’intervention de l’Etat.
En conclusion :
Sur le plan pratique, il en ressort qu’une opération de cession de droits réels avec une obligation de construire moyennant le respect de conditions ne pourra être requalifiée en une opération de marché public, sauf si les constructions devaient être réalisées au bénéfice de l’adjudicateur.
La faculté pour le promoteur immobilier public de contraindre le soumissionnaire à la réalisation des travaux constitue une confirmation d’un élément précieux qui avait pu être mis en doute par le passé, par la plus haute juridiction administrative du pays[4].
Sur le plan juridique, l’analyse du critère que constitue l’intérêt économique direct devient une borne essentielle de la frontière entre les marchés publics et d’autres modes d’interventions de l’Etat.
Pour éviter toute difficulté et se prémunir du formalisme des législations en matière de marchés publics, il appartient au pouvoir public de qualifier le plus adéquatement possible son opération et de se faire conseiller pour se faire.
Pour plus de détails :
(WAUTERS, K., EYLETTEN, J., L’intérêt économique direct : analyse du critère distinctif entre les opérations de cession de droits réels, des contrats qualifiés de marché public ou de concession de travaux. Note sous C.E. (6e ch. réf.), 1er juillet 2022, S.R.L. Jambes Casernes Equilis).
[1] C.E. (6e ch. réf.), 1er juillet 2022, S.R.L. Jambes Casernes Equilis, n°254.209
[2] C.J.U.E., arrêt Helmut Müller, 25 mars 2010, C-451/08, EU:C:2010:168.
[3] Loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services, M.B., 21 juin 2013.
[4] C.E., (6ème ch. réf.), du 17 août 2020, n°248.148, S.R.L. Watt Else.